INCH’ALLAH d’Anaïs Barbeau-Lavalette
AU PIED DU MUR
par Bertrand Bichaud
5/5 CHEF D'OEUVRE
Dans un centre médical d’un camp de réfugiés Palestiniens en Cisjordanie, une jeune Québécoise médecin, Chloé, accompagne les femmes enceintes et les jeunes mamans. Sa vie se ponctue d’aller-retour, entre ses journées passées à soigner des Palestiniennes dans leur détresse et leur isolement, et ses soirées de l’autre côté du mur de séparation, après le passage des chekpoints, du côté Israéliens.
Peu à peu, elle tisse des liens d’amitié avec une Israélienne, Ava qui fait son service militaire à un poste de contrôle. Mais aussi avec Rand, une future maman Palestinienne dont le mari est en attente d’un jugement lui faisant encourir une peine de prison.
« Inch’Allah » peu sembler au premier abord être le film de plus (voire de trop) sur le conflit Israélo-Palestinien. Il faut dire que le cinéma de ces dernières décennies n’est pas avare de production sur le sujet : « Zaytoun », « Une bouteille à la mer », « Les citronniers », « Désengagement », « Une jeune Israélienne »…
Et pourtant, plus le film se développe, et plus il prend une forme unique, à la fois spécifique à lui-même, tout en restant des plus universelles sur le sujet. La première partie se concentre sur l’exposition des personnages, et plus particulièrement du trio de femmes : L’étrangère, témoin se confrontant à un conflit et une histoire qui ne sont pas les siens, avec sa volonté d’aider comme elle le peut les plus démunis. L’Israélienne, tentant de faire le plus humainement possible son devoir, craignant en permanence le risque d’attentat. Et enfin la Palestinienne, (sur)vivant dans des conditions misérables, à la merci du bon vouloir des militaires Israéliens.
Le quotidien est difficile et l’avenir incertain pour toutes les trois. Chloé, en forme de lien invisible entre les habitants des deux côtés du mur, se retrouve bien logiquement, par moments incomprise. N’appartenant à aucun des camps, et donc rejetée par tous. Alors, quel choix faire ? Doit-elle seulement en faire un ? Ou juste tenter à son niveau, sans prendre parti, d’alléger les souffrances des « résidentes » du camp ?
La seconde partie du film prend une tournure inattendue, adopte un nouveau rythme imposé par l’accélération du scénario. Des évènements viennent bouleverser, ou plutôt simplement révéler ce qu’est la vie (et les conséquences qu’elle implique) pour ceux qui vivent des deux côtés du mur. Bien que le film se positionne du côté Palestien, en nous plongeant davantage au sein de la famille de Rand (la future maman) que d’Ava, la jeune militaire, la force d’« Inch’Allah » est qu’il est bien moins partisan qu’il semble le montrer, dépassant, et de loin la bien utopique volonté de distribuer les bons et les mauvais points. Prenant de la hauteur face à l’ignominie de la réalité la plus terre-à-terre vécue par ces protagonistes, la réalisatrice arrive à décrire frontalement l’horreur tout autant que l’absurdité et l’incohérence du conflit. Et surtout, son apparent et effrayant constat d’irréversibilité. Le cycle de la haine, de la peur, de la souffrance, de la soif de vengeance étant tellement ancré de parts et d’autres.
Anaïs Barbeau-Lavalette ne déclame pas de long discours, aucune moralisation n’est infligée aux spectateurs, elle se contente de relater. Les faits, et leur banalité aussi injustes et inacceptables soient-ils. Elle n’excuse rien, ne justifie pas, ne condamne pas, mais explique, là est la force principale du film. En nous faisant simplement partager la vie de ses personnages, elle nous aide à comprendre comment il est possible de tomber dans l’enfermement du cercle de la haine et de sa nécessité de violence.
Caméra à l’épaule, sans excès de traitement de type "documentaire", avec un soin attentionné apporté à la photo, mais sans volonté obsessionnelle d’esthétisme, la réalisation est parfaitement équilibrée, soutenant l’histoire sans la vampiriser.
« Inch’Allah » est un grand film, certainement le plus abouti sur le sujet, à coup sûr le plus réussi. Une histoire saisissante et bouleversante, qui sans dramaturgie ostentatoire témoigne avec autant d’intelligence que d’efficacité de la situation actuelle du conflit Israélo-palestien. Magnifique, utile et terrifiant.
La bande annonce:
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