PARADIS: FOI d'Ulrich Seidl
ENFER ET CONTRE TOUT
par Bertrand Bichaud
3/5 ON AIME BEAUCOUP
A la vision de ce deuxième volet de la trilogie, on constate l'absence de lien chronologique entre les trois films. Ils peuvent être ainsi vu dans l’ordre que l’on souhaite, ou encore suivant sa volonté, n’en voir qu’un ou deux, sans que cela ne gêne en rien la compréhension de chacune des histoires.
Dans « Paradis : Foi », le personnage principal, Anna Maria, est la sœur de Teresa (Paradis : Amour) et la tante de Mélanie (Paradis : Espoir). Travaillant dans un laboratoire médical, lorsque ses vacances arrivent, plutôt que de partir sur une île paradisiaque, son choix est tout autre. Celui du prosélytisme. Faisant du porte-à-porte dans la banlieue de Vienne, elle annonce aux imprudents lui ayant ouvert la porte : « La vierge Marie vient vous voir, elle veut vous rencontrer pour alléger vos souffrances… », mêlant ses actes à ses propos, elle s’introduit (sans se faire prier…) chez des inconnus, sa statuette de la vierge dans les bras.
La vie d’Anna Maria se concentre exclusivement sur sa (mauvaise ?) foi. Sa volonté étant de célébrer le seigneur, rejetant et étant contre tout ce qui pourrait l'éloigner de ce chemin (de croix). Débutant la journée par un petit déjeuner sommaire à l’écoute de messes à la radio, elle passe ses après midi à prêcher, en quête de pécheurs, puis scande, s’accompagnant de son guide chant quelques pieuses chansons. Pour ses soirées, au choix, elle invite des amis pour des prières en groupe, ou en solo, se réserve une séance d’auto flagellation dans les règles de l’art, pour expédier ses éventuelles mauvaises pensées.
Sa vie bien (dé)rangée va être bouleversée par le retour inattendu de son mari, un "musulman en chaise roulante", bien loin des obsessions de son épouse. La cohabitation va rapidement devenir le terrain de toutes les violences, verbales autant que physiques. Et son virtuel paradis va se transformer en véritable enfer.
Comme pour l’ensemble de cette trilogie, l’une des forces du film vient du choix du réalisateur de demander à ses comédiens (pour la plupart non professionnels) d’improviser les scènes, en fonction de situations données. Cela apporte un indéniable et troublant réalisme sur des séquences qui ne pourraient que perdre de leur force par des dialogues imposés aussi talentueux soient-ils.« Paradis : Foi » est l’unique film de la trilogie à faire étrangement rire... de ces étrangetés. Un rire nerveux, mais bien réel (une nécessaire échappatoire ?). Seidl prend ici, de nouveau en main un sujet tabou: les excès et déviances de l’extrémisme religieux, et passe tout le long du film (avec un évident malin plaisir) à le malaxer sans aucune retenue sous nos yeux.
C’est une nouvelle dénonciation que Seidl pratique avec cet opus. Celle du lien que la Religion – peu importe laquelle - entretient avec ses pratiquants les plus intégristes. Quelques scènes d’échanges entre Anna Maria et les visiteurs qui acceptent de la recevoir se transforment en moments mémorables, comme rarement le cinéma sait en offrir. D’une véracité troublante, d’une violence hyperréaliste, tombant parfois, pour notre plus grand soulagement, dans un "grotesque", faisant en un instant baisser une tension devenue difficilement supportable.
Ulrich Seidl signe avec « Paradis : Foi » un nouvel épisode sous forme d’uppercut qui laissera ko, à terre, un public non initié, mais qui enthousiasmera les spectateurs prêts à se confronter au regard dénonciateur du réalisateur sur notre société, sa perte de repères et de (bon) sens, son absurdité, et les victimes qui en résultent. Le cinéaste pointe avec une malice perverse une nouvelle fois les dysfonctionnements de nos comportements, et les dramatiques conséquences qu’ils provoquent sur les plus fragiles, les plus vulnérables d’entre nous. "Paradis: Foi" est un film extraordinaire au sens premier du terme, par sa singularité, sa rareté, et la forme crue et austère, courageusement sans limites, du discours qu'il délivre.
La bande annonce:
NOTRE AVIS SUR: "PARADIS: ESPOIR" ET "PARADIS: AMOUR".
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