ENFANCE CLANDESTINE de Benjamin Avila
SECRETS ET MENSONGES
par Bertrand Bichaud
4/5 ON ADORE
Juan à douze ans, nous sommes en 1979. Sa famille et lui-même, de retour d’exil, reviennent à Buenos Aires sous de fausses identités. Ses parents et son oncle sont membres des Montoneros, un groupuscule en lutte contre la junte militaire au pouvoir (depuis le coup d’état de 1976). Pour ses amis à l’école, il n’est pas Juan mais Ernesto. Son passé d’exilé tout comme les activités de sa famille doivent impérativement restés secrets. Il est alors contraint de mentir, à maintes reprises, sur les sujets les plus anodins tout comme les plus essentiels. La moindre erreur, le moindre écart de sa part, pourrait mettre en péril sa sécurité et celle de sa famille.
« Enfance clandestine » témoigne du quotidien, fait de peur, de suspicion, de constantes extrêmes prudences d’un groupe de révolutionnaires voulant redonner à leur pays une démocratie bafouée par la junte militaire en place. Mais le film ne s’enferme pas dans l’unique exposition de la situation politique de cette période de l’histoire de l’Argentine. Elle n’intervient qu’en tant que cadre, avec ses infinies conséquences sur le principal récit, celui d’un enfant, impliqué malgré lui, dans toutes les contraintes et dangers que l’engagement de sa famille impose.
Juan tente de s’intégrer dans son école, de se lier d’amitié avec ses camarades de classe, ne pouvant pourtant jamais être réellement lui-même, puisque ne pouvant partager la réalité de sa vie. Son passé mouvementé, son présent incertain, et son avenir imprévisible. Lorsque Juan tombe amoureux d’une fille de son école, le rôle qu’il doit interpréter est de plus en plus difficile et douloureux à conserver. Découvrant ce nouveau sentiment, le révélant à lui-même, comment continuer à devoir feindre, simuler devant ce bouleversement émotionnel si intime et sincère ? Comment dissimuler sa réelle condition ? Tromper sur qui il est, c’est aussi se confronter au constat qu’il est aimé pour ce qu’il n’est pas…
Les scènes les plus violentes sont traitées avec originalité et pertinence par le filtre de séquences d’animations. Une idée que le cinéaste reconnaît avoir emprunté à Quentin Tarentino (« Kill Bill : Volume 1»). « Enfance clandestine » est un acte de mémoire sur la plus noire des pages de l’histoire de l’Argentine qui a compté la disparition de plus de 30 000 personnes arrêtées arbitrairement et l'enlèvement de plus de 500 bébés ayant fait l’objet de trafic.
Benjamin Avila signe avec ce récit (en partie) autobiographique son premier film. « Depuis que j’ai décidé de faire du cinéma mon métier, je voulais cette histoire, mon histoire ». Une histoire qui donne envie d’être partagée, souhaitons lui qu’elle rencontre le même succès ici que dans son pays natal (plus de 200 000 entrées).
« Enfance clandestine » est un très beau film, non dénué d’une certaine forme de poésie, sur une enfance plongée bien précocement dans la plus dure et violente des vies d’adultes. Une oeuvre en forme d’hommage en mémoire des victimes de cette terrible période. Haletante et émouvante, une réussite.
La bande annonce:
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