LE MUR INVISIBLE de Julian Roman Pölsler
LE MUR EST DANS LE PRÉ
par Bertrand Bichaud
4/5 ON ADORE
Une forêt en Autriche, de nos jours. Une femme se retrouve seule, dans une maison plongée au beau milieu de la nature, séparée du monde entier par un mur invisible.
Le film débute par la voix de cette femme, exprimant sa volonté de refuser la folie qu’elle sent insidieusement tenter de prendre le contrôle de son esprit. Face à cette situation aussi inacceptable qu’incompréhensible, elle décide d’écrire. Écrire sa peur comme pour mieux la conjurer de ne pas la sacrifier. Le visage fermé par la frayeur, s’accrochant à son crayon de papier comme on s’accroche à la vie, l’image évoque le Horla de Maupassant.
Le monologue qui accompagne le film tout au long de son histoire intervient peu à peu comme un personnage "en soi". Il y a cette femme, ses agissements, ses réactions instinctives, sa volonté consciente de survie. Et puis ce monologue qui n’est autre que sa voix intérieure. Celle de son esprit, de son humanité, de sa moralité.
Ce texte pourrait se suffire à lui-même tant sa beauté et les questions qu’il soulève sont fascinants et d’une attractivité quasi hypnotique. On devine en se laissant imprégner par ces phrases et ces mots que le livre éponyme qui a inspiré ce film est une œuvre à part entière. Son auteur, Marien Haushofer, est une Autrichienne du siècle dernier, fille d’un garde forestier… Plus connu pour ses contes pour enfants, à l’époque « Le mur invisible » (1963) avait reçu un accueil positif de la part des critiques avant de tomber rapidement dans un oubli général.
Le réalisateur explique : « Je crois que chacun de nous a un livre frère, comme il a une âme sœur. Mon livre frère est Le Mur invisible. (…) Ce roman occupe une place très particulière dans ma vie. Je l’ai lu une première fois il y a 25 ans et depuis, il me colle à la peau. (…) J’ai dû prendre mon mal en patience pendant près de vingt ans parce que les droits étaient déjà pris, et c’est seulement en 2003 que j’ai pu les acquérir. Je crois que j’étais prédestiné à faire ce film : il fallait que ce soit moi qui le fasse. » Après Sept années de réflexion ( ! ) et d’adaptation du livre, le tournage débute, et s’étalera sur 14 mois.
Le deuxième choc du film vient de l’interprétation de la comédienne, Martina Gadeck (« La vie des autres »). Pour s’immerger au mieux dans son rôle, elle a fait preuve d’un choix radical: « J’ai vécu pendant le tournage dans un chalet isolé et peu équipé, pour me rapprocher le plus possible de la situation du personnage. On pourrait peut-être dire qu’elle se situe dans un endroit entre vie et mort, où elle doit faire front avec ses forces primitives et ses animaux. Cette situation et l’état d’esprit de cette femme, ce ne sont pas des choses que l’on peut jouer, il faut les vivre ».
« Le mur invisible » est une réflexion sur la solitude que l’isolement inflige. Ne pouvant ne plus rien attendre du monde extérieur, c’est un voyage introspectif à l’intérieur d’elle-même que le personnage relate dans ses écrits. Sa féminité peu à peu disparaît, pour laisser place à une nouvelle personnalité construite sur les nécessités de sa nouvelle condition.
Le film nous plonge dans les profondeurs de son âme, avec une pertinence dans la mise à nu de son intimité digne de Bergman. Tel un conte philosophique, l’histoire est un appel à la remise en question de la condition humaine lorsqu’elle est extraite de ses habituels codes de vie en société.
La réalisation est subtilement soignée sans pour autant tomber dans une approche ésotérique qui aurait été bien vaine. Elle se contente d’être observatrice, prenant le recul que le personnage ne peut s’offrir. Certains plans ont la magnifique noirceur des peintures de De la Tour.
Inquiétant et poétique, novateur et métaphysique, « Le mur invisible » est aussi un film sur le cycle inexorable de la nature, de ses saisons, subissant frontalement (dans une silencieuse soumission) l’impermanence de leur état.
« Le mur invisible » est un film extraordinaire, par son postulat de départ, mais aussi par la puissance du développement de son sujet. Le réalisateur questionne sur la fragilité de l’humanité, une humanité qui malgré les événements extérieurs, subsiste, restant à jamais indissociable de notre identité. Subtile et respectueuse adaptation d'une oeuvre littéraire sous estimée, ce film la réhabilite en la magnifiant.
La bande annonce:
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