BLUE JASMINE de Woody Allen
UNE FEMME SOUS INFLUENCE
par Bertrand Bichaud
4/5 ON ADORE
Jasmine (Cate Blanchett) est mariée à Hal (Alec Baldwin), un homme d’affaire très fortuné. Le jour où elle découvre qu’il n’est en réalité qu’un coureur (multirécidiviste) sans scrupules et un escroc sans morale, toute sa vie s’en voit bouleversée. Jasmine se retrouve seule, sans argent à devoir être hébergée par sa sœur, Ginger, une caissière qui vit à San Francisco avec son copain mécanicien...
Woody Allen est un habitué des personnages hauts en couleurs, qu’il n’hésite pas parfois à pousser jusqu’à la caricature pour optimiser son efficacité humoristique lorsqu’il évolue dans le registre de la comédie. Les nouveaux riches de « Escrocs mais pas trop » sont irrésistiblement drôles par leurs excès dénués de toutes raisonnables mesures et vraisemblances. Ce choix peut apparaître plus discutable sur un traitement dramatique. Voilà bien l'unique reproche à formuler devant ce nouveau bijou du cinéaste...
« Blue Jasmine » fait partie des films "sérieux" du réalisateur. Quelques traits d’humour s’immiscent (de manière toujours bienvenue) malgré tout, mais son point de vue est tout autre. Moins noir et psycho-existentiel que ses films les plus Bergmaniens, dont « Intérieurs » est le plus digne représentant, « Blue Jasmine » se rapproche davantage de ses drames familiaux, intimistes et sociétaux, à l’image de « Hannah et ses sœurs » et « Une autre femme ». Pourtant, il y a du nouveau avec cet opus. Le désespoir qui conclue le récit (inhabituel chez le réalisateur), est d’autant plus étonnant qu’il n’est pas aisément déchiffrable. Les films d’Allen se terminent, pour ses comédies de manière légère et drôle, laissant penser que l’histoire continue. Ses histoires aux discours plus marqués proposent souvent une source de réflexion, lorsqu’il ne s’agit pas clairement d’une leçon, d’une morale, « Match point » et son précepte de hasard comme maître de nos destins en étant le meilleur exemple. Ici la fin est des plus sombre, laissant dans un mal être refusant toute opportunité d'espoir.
Pourtant, le film est aussi l’un des plus indulgents envers ses personnages. Tous bénéficient d’une compassion sans limites, avec une absence totale d’accusation, le mari infidèle et malhonnête n’est jamais ridiculisé ou même condamné par le regard du cinéaste, même si l’histoire bien logiquement le sacrifie. C’est surtout Jasmine qui "profite" d’une emphatie infinie. Enfermée dans sa vie d’avant (les apparences, les faux-semblants), énervé par le manque d’ambition professionnel et d’exigence sentimentale de sa sœur, elle n’épargne personne et tente d'imposer sans discernement sa vision du monde à un univers qui ne peut la comprendre. Le personnage a tout pour être exaspérant, et pourtant le cinéaste la protège, la soutien et la filme avec une telle attention qu’elle ne peut qu’émouvoir et attendrir.
« Blue Jasmine » se révèle très Cassavetien. Comme chez Cassavetes, ici c’est l’acteur (en l’occurrence l’actrice) qui est au centre de tout, l’histoire gravitant autour. Deuxième lien évident, la force et la place donnée à l’expression corporelle. La gestuelle de Jasmine, reflétant la fragilité de son état, mélange de colère autodestructive, d’hystérie sous-jacente et de dépression chronique. Cate Blanchett absolument époustouflante dans sa performance rappelle à maintes égards et reprises Gena Rowlands.
Jasmine est une femme sous influences. De son passé, de ses illusions (perdues) de bonheur, de son ancienne condition de privilégiée, de l’argent qui allait avec, de la perte de repères que son changement de vie lui inflige.
Avec « Blue Jasmine » Woody Allen arrive non seulement une fois de plus à séduire ses plus inconditionnels amateurs (dont le blog fait partie) mais aussi à surprendre, perturber avec talent. N’est-ce pas là, la marque des plus grands?
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