BLACKBIRD de Jason Buxton
PRINCIPE DE SUSPICION
par Bertrand Bichaud
3/5 ON AIME BEAUCOUP
Sean vit dans une petite ville Canadienne. Gothique pour cause de crise d’adolescence, il écoute du « death métal », porte un blouson clouté, un anneau à l’arcade sourcilière et un tatouage dans le dos. Rien de bien réjouissant, mais pas de quoi faire un drame non plus. Si ce n’est que le harcèlement dont il est la victime à son collège l’amène à imaginer une vengeance digne de son esprit torturé. Une tuerie telle que les US en ont connu à plusieurs reprises, et suffisamment médiatisées pour traumatiser l’opinion et stigmatiser le premier à (ne serait-ce qu’) évoquer un projet du genre.
Car la réalité est que Sean n’a fait qu’écrire sur son blog, tel un exutoire, le fantasme de son hypothétique vengeance. Mais il n’est pas passé à l’acte, et rien dans les agissements passés du jeune garçon ne peut accréditer la thèse qu’il soit un réel meurtrier en puissance. Le début du film le montre à la chasse avec son père, révélant la culture (nationale et) familiale des armes à feu. Lorsqu’il se retrouve avec un chevreuil à quelques mètres de lui dans son viseur, le jeune garçon n’arrive pas à appuyer sur la détente… En revanche, quand son père, après l’avoir abattu, lui ouvre le ventre (du chevreuil bien sûr) pour en retirer son cœur, l’ado prend son portable et filme. Mais un goût malsain pour le sanguinolent est-il synonyme d’instinct meurtrier ?
Les mauvaises pensées sont-elles condamnables aux yeux de la loi ? Le traumatisme collectif suite au drame de Colombine (qui devient son surnom) semble valider cette opinion. « La justice n’intéresse personne » déclare Sean. Seul le principe de précaution (suspicion ?) dicte en effet dans cette histoire ses règles. Est-il une mauvaise graine qu’il faut couper (de la société) avant qu’elle ne grandisse trop ? Ou n’est-il qu’un petit Blackbird qui cherche à voler de ses propres ailes pour devenir un adulte équilibré et raisonnable ?
Le film dénonce avec justesse et mesure un système hyper précautionneux, aveuglé par sa peur d’un nouveau massacre, comme pour se "racheter" de ceux qu’il n’a pas su par le passé anticiper et prévenir. Dans la lignée de "Bowling for Columbine" de Michael Moore, d’« Elephant » de Gus Van Sant, Jason Buxton offre un nouveau regard au sujet, en se concentrant sur les conséquences d'un drame qui ne fut qu’imaginé.
Blackbird est un premier film signé par l’ancien assistant caméraman de grands cinéastes tels que James Cameron ou Lasse Hallström. Il s’explique sur le choix de son sujet en ces termes : « Nous vivons dans une société qui accorde de plus en plus d’importance à la sécurité. Cette culture de la peur motive une grande partie des décisions prises par les instances qui nous gouvernent. Ce qui m’inquiète dans cette dérive, c’est qu’on finisse par ne plus tenir compte des faits, au cas par cas. Quand j’étais adolescent, l’expression ‘’je vais te tuer’’ était très répandue, mais comme ce genre de menace était généralement lancée dans la rue ou par la fenêtre d’une voiture en marche, cela ne pouvait jamais servir de preuve en cour de justice. Aujourd’hui, si de tels propos se retrouvent sur Internet, cela devient une preuve légale».
Blackbird est un film sur l’adolescence et ses déviances passagères shootées aux dérives médiatiques de toutes sortes. Mais aussi et surtout sur une société qui, ne sachant remettre en question les réelles causes de certains de ses dysfonctionnements, privilégie des mesures aussi radicales qu’injustes pour anesthésier sa disproportionnée panique. Un beau film, témoin nécessaire des affres d’une époque.
La bande annonce:
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