L’IVRESSE DE L’ARGENT d’Im Sang-Soo
LUXE, CALME ET CRUAUTE
par Bertrand Bichaud
3/5 ON AIME BEAUCOUP
La première scène du film nous immerge immédiatement dans le cœur du sujet : la caméra, lente en zoom avant, nous invite à entrer dans une pièce, aménagée en immense coffre-fort où trône, ça et là, des montagnes de liasses de billets, paraissant s’offrir au premier qui osera tendre la main. Celui qui se fait surnommer « Le président » indique à YoungJack, son secrétaire particulier de remplir deux valises, lui précisant de ne pas se gêner pour prendre au passage s’il le souhaite quelques poignées de billets : « Les autres le faisaient avant toi, tu sais ». Le jeune hésite, en prend une, la respire, puis la repose. Prouvant par là même son intégrité, valeur peu cumulable au monde dans lequel il aspire évoler…
L’honnêteté est une faiblesse dans cette industrie du crime, considérée comme un ridicule manque de lucidité. YoungJack va le découvrir à ses dépens. Tous les membres de la famille vivent dans une immense « prison dorée ». Le grand père a confié la direction des affaires à son gendre (le président). Leur principale dépense ? Acheter celles et ceux qui pourront les servir et perpétuer leur destinée : Juges, Policiers, Presse…
Le réalisateur explique : "L’actuel président coréen a souvent été comparé à Silvio Berlusconi, car c’est un nanti qui avait promis aux Coréens de les rendre aussi riches que lui. Mais finalement, seuls ses amis intimes se sont enrichis, et la Corée s’enlise dans le marasme, entre chômage et conditions de travail abusives. Les Coréens, qu’ils soient riches ou pauvres, sont tous devenus obsédés par l’argent".
Le film raconte aussi le parcours initiatique de YoungJack, l’homme à tout faire (vraiment tout…) qui, pour monter les échelons, devra faire ses preuves et grimper marche par marche un escalier des plus additifs. Il y apprendra (entre autres) qu’ici le linge (parfois ensanglanté) se lave toujours en famille.
"Je n’aime pas les cris, les gémissements, toutes les explosions d’émotions en général (...) Sur le plateau, je me demande toujours comment permettre aux acteurs d’en faire le moins possible. Je pense que c’est par une approche minimale du jeu que les émotions authentiques affleurent" déclare le metteur en scène.
« L’ivresse de l’argent » est un film sur la domination et l’humiliation. Étonnement souvent drôle, parfois sulfureux, jouant de l’absurdité, par ironie, des règles qui y font loi, de l’extrémisme des personnages. Avec une figure de mère glaciale et calculatrice contrôlant tout et tous, jusqu’à l’envie de séparation de son mari… Mais une traîtresse connaît trop le sujet pour se laisser elle-même trahir. Des cheminées, disséminées un peu partout dans la maison, nous rappelle que la demeure est une antichambre des joies de l'enfer.
La réalisation est magnifique, stylisée, d’un sens esthétique raffiné, lente et élégante, reflétant le luxe de l’univers filmé. Dans cette demeure d’ultra riche, tout y est propre, même l’argent est blanchi. Seul l’humour persiste à rester noir… Dans la lignée de son précédent (« The housemaid »), Im Sang-Soo signe un nouveau film ou sa personnalité se déploie à nouveau dans toute sa splendeur.
La bande annonce:
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