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ESPRIT, ES-TU LA ?

par Bertrand Bichaud

3/5 ON AIME BEAUCOUP

1945 est une année importante pour l’Angleterre, une période charnière durant laquelle un nouvel idéal social est apparu, motivé par une volonté de tourner définitivement la page d’un passé des plus sombres, au sortir de la deuxième guerre mondiale. Des valeurs telles que la solidarité, la fraternité guidaient alors les rêves du peuple, lui laissant présager la possibilité de redéfinir l’organisation et le fonctionnement d’une société plus humaine et sociale. L’espérance d’un monde meilleur.

Ken Loach raconte chronologiquement, à l’aide d’images d’archives (films, photos et sons) comment le mouvement des travaillistes est né, s’est développé, jusqu’à son accession au pouvoir. Des témoignages actuels de personnes ayant vécu cette "aventure" ponctuent les documents d’époque. Le film en noir et blanc, ne s’autorise qu’une séquence de conclusion en couleur pour, précise le cinéaste, « donner une impression plus contemporaine à la fin de cette période ».

En 1945, « Nous avions gagné la guerre ensemble, explique Ken Loach, ensemble nous pourrions gagner la paix. Si nous étions capables de financer des campagnes militaires, ne pourrions-nous pas également envisager de construire des logements, de créer un service public pour la santé et les transports, et de produire les biens nécessaires à la reconstruction du pays ? Ce courant de pensée s’articulait autour de la notion de propriété collective, selon laquelle l’industrie et les services doivent profiter à tous : Une poignée de privilégiés ne devait pas pouvoir s’enrichir au détriment du peuple (…) Il est peut-être temps de donner à l’esprit de 45 un second souffle aujourd’hui ».

Le film peut apparaître dans un premier temps un peu scolaire, le type de documentaire à projeter à des lycéens, pour leur apprendre cette importante page du XXème siècle de l’histoire économique et sociale de la Grande Bretagne. Pourtant, au bout de quelques minutes, le documentaire de lui-même dépasse, et de beaucoup, l’unité de temps et de lieu de ses propos. « L’esprit de 45 » soulève la plus évidente et pourtant importante des questions politiques : Quel mode de vie un pays démocratique souhaite-t-il pour son peuple ? Que l’on appelle les deux principaux courants : droite et gauche, démocrate et républicain ou conservateur et travailliste, la dualité reste, à peu de détails prêts la même. C’est en démontrant les répercussions, alternativement, des deux modes de gouvernance que le film devient passionnant. Au-delà de l’aspect purement économique, c’est d’humanité, de philosophie de vie dont il est question à travers ces options politiques. Bien sûr, on ne peut que constater le parti pris partisan dont Ken Loach fait preuve dans sa démonstration. Connaissant le réalisateur, on ne pouvait en attendre moins de lui, et de toute façon, sur ce type de sujet, l’impartialité est une mission impossible. Suivant le choix des témoins, la mise en avant de telles ou telles incidences d’une politique, l’objectivité ne peut être qu’une illusoire promesse.

Lors de l’avant-première organisée par le Cinéma du Panthéon à Paris en avril 2013, le réalisateur présent pointait du doigt les dangers actuels de "l’oubli" de cet esprit. « Aujourd’hui, les véhicules de pompier en Angleterre sont gérés par des entreprises privées (…) Dans certaines villes, c’est la société de Richard Branson Virgin qui a remplacé la sécurité sociale… ».

« L’esprit de 45 » est un film important. Une source de réflexion et d’espoir, une démonstration par les faits, que certaines révolutions, aux allures d’utopie, peuvent prendre forme, vaincre les plus septiques tout comme les opposants les plus forcenés. À l’heure ou l’Europe entière traverse l’une de ces plus terribles crises sociales et économiques, le film arriverait-il à point nommé ?  Encore faudrait-il réussir à retrouver cet « esprit »… C’est vrai ça, où a-t-il bien pu passer celui-là ?

La bande annonce: