HEIMAT 1 et 2 d’Edgar Reitz
UN VILLAGE ALLEMAND
par Bertrand Bichaud
5/5 CHEF D’OEUVRE
« Heimat » est un terme Allemand difficile à résumer en un seul mot Français. Il évoque à la fois le pays où l’on naît, le village où l’on a grandi et la maison où l’on a passé son enfance. L’endroit où l’on se sent chez soi. À une époque, on opposait "Heimat" au mot "Elend" qui signifie « misère ». Par extension, il y a aussi la notion de bonheur dans "Heimat". Pourtant dans le film, si le village où se déroule l’histoire est l’endroit ou l’on naît et l’on meurt, il est aussi pour beaucoup un lieu de misère dont on souhaite s’échapper.
Heimat I (« Chronique d’un rêve ») et Heimat II (« L’exode ») qui sortent au cinéma sous la forme de deux films, sont les prequels (un prologue tourné à posteriori de l’histoire d’origine) de la trilogie Heimat réalisée par Edgar Reitz en 1984, 1992 et 2004, et couvrant les périodes suivantes de l’histoire de l’Allemagne : 1919-1982 (« Une chronique Allemande »), 1960-1970 (« Chronique d’une jeunesse ») et 1989-2000 (« Chronique du tournant d’une époque »).
Dans ces deux nouvelles histoires, la période traitée s’étale de 1842 à 1844. On y découvre la vie de la famille Simon. Johann le père (forgeron), Margret la mère, Lena la fille ainée (répudiée car mariée à un catholique), Gustav et Jakob les fils, ainsi que Jettchen et Florinchen leurs futures épouses. Le film débute par une scène montrant le petit village où vit la famille, les maisons sommaires qu’ils habitent et les terres qu’ils cultivent.
L’histoire relate les pénibles destins (famine, exploitation par les riches propriétaires terriens, maladie…) que vont traverser les membres de la famille. C’est par le regard et les mots de Jakob que le cinéaste nous livre les rêves et destinées de chacun. Il est le seul lettré (au grand damne de son père qui trouve inutile ce fantasque goût pour les mots et les langues) et n’aspire qu’à quitter cette vie pour découvrir le nouveau monde et ses opportunités de bonheur.
« Heimat » est une fresque historique à l’intimisme familial, mais détenant dans les thèmes qu’il développe des dimensions universelles. Ce qui frappe en premier lieu, c’est la majestuosité de la réalisation. La beauté picturale de chaque plan en fait un plaisir esthétique de tous les instants. Pour autant, cette splendeur visuelle ne vampirise jamais le récit. Elle ne fait que l’habiller avec élégance et grâce.
« Heimat » est un film simple et riche en développement politique, social et psychologique. Le noir et blanc purement magnifique, peut rappeler par moments par ses aspects oniriques (et ses subtiles nuances de luminosité) « La nuit du chasseur ». Les somptueuses pointes de couleurs (les cerises d’un arbre, une pièce d’or…) font oublier que ce principe fût déjà utilisé (entre autres par Coppola dans « Rusty James ») tant il est ici manié avec pertinence et justesse.
La narration, précise et poétique donne le sentiment d’être plongé dans un classique de la littérature. Ne tombant jamais dans l’académisme, évitant tous inutiles effets de style. "Je refuse radicalement ce modèle du cinéma qui vous prend aux tripes, cette dramaturgie du suspense (...) dont je me suis tenu à l’écart toute ma vie. Les stratèges de la dramaturgie à effets font passer leurs concepts avant les images de la vie et renvoient la réalité au domaine du banal. Voilà des décennies que je me moque complètement de savoir quels succès on peut atteindre avec de telles méthodes. Ce qui m’intéresse est totalement différent : le cinéma est pour moi une école du regard. (...) Avec mes films, je veux apprendre à mieux comprendre la vie réelle. Ce qui compte le plus, pour moi, c’est l’observation exacte, la connaissance des hommes et de leurs comportements » explique le cinéaste.
Les deux « Heimat », soit 3h55 ne donnent jamais l’impression d’être longs, mais revendiquent leur parti pris de lenteur. Une lenteur appréciable et nécessaire pour répondre aux nécessités de l’approche voulue par le cinéaste. Avec ses images éblouissantes de beauté, son histoire instructive et passionnante, le film est spectaculaire, impressionnant et fascinant. "Heimat" apparaît comme déjà un classique, et pour toujours un chef d’œuvre.
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