LE BLOG DES FILMS D'AUTEUR

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VLADIMIR COSMA

Paris. Mercredi 27 février 2013, 19h.

Entretien réalisé au domicile de Vladimir Cosma.  

 

 

 


 

 

Pour commencer, j’aimerais que l’on parle de votre collaboration actuelle avec Jean-Pierre Mocky, pour je crois une série de films pour la télévision.

 

Oui, Jean-Pierre Mocky a acheté des sujets écrits par Alfred Hitchcock, des histoires de la série « Alfred Hitchcock présente » que le réalisateur Américain n’avait pas eu le temps de tourner. Il va en faire 50 pour Canal+, j’en compose les musiques. Il en fera ensuite 50 de plus, car il lui en faut au moins 100 pour que les Etats-Unis lui prennent.

 

 

Jean-Pierre Mocky est connu pour avoir non seulement une manière de travailler bien à lui, mais aussi un caractère, comment dire… Si ce n’est colérique, pour le moins sanguin. Comment se passe le travail avec lui ?

 

Il m’amuse beaucoup. C’est peut-être le dernier cinéaste libre, il ne dépend pas d’un producteur, il fait ce qu’il veut, il est autonome, c’est rare. Il me laisse une grande liberté. Il n’aime pas la musique de film qui souligne les images. Il a toujours des idées. Ses films sont parfois un peu « bâclés » parce qu’il veut faire vite. Sur les tournages, il dit toujours : "Moteur, moteur, moteur !" sans arrêt. L’autre jour, j’ai enregistré une musique pour son film "La mélodie qui tue". Il avait déjà tourné avec un violoniste à l’image, et j’ai dû jouer moi-même, ce que je n’avais pas fait depuis trente ou quarante ans, me remettre à jouer du violon. Il y a deux jours, il était là, assis précisément ou vous êtes et moi j’étais avec mon violon, ici à jouer.

 

 

 

 

Je souhaiterais que l’on évoque un film important dans l’histoire du cinéma, c’est « Le bal » d’Ettore Scola. Racontez-nous la raison pour laquelle il a fait appel à vous, et quelle était sa demande précise au départ?

 

C’est un film très particulier, que je considère comme un chef d’œuvre dans le genre. Mais qui s’est fabriqué de manière curieuse sur le plan musical. Il y a deux heures de film, et deux heures de musique. Et pas un mot. Donc la musique est le moteur essentiel. C’est une partie de l’histoire de France à travers la musique dans un bal populaire, c’est un mélange de musiques existantes de l’époque et de musiques originales qui se transforment à travers le temps. Scola ne me connaissait pas, il a d’abord fait travailler un grand musicien Italien Armando Trovaioli. Sa musique lui convenait, mais pas aux distributeurs Italiens et Français du film. Ils ont refusé de le sortir ainsi. C’est à ce moment-là que les distributeurs m’ont appelé pour refaire la musique. On m’a demandé d’aller en Italie pour rencontrer Scola. Tout le monde a été très amical avec moi, mais Scola était content de sa musique. J’ai vu le film et j’ai compris pourquoi les distributeurs n’en voulaient pas. Il y avait des problèmes de construction, notamment dans l’interprétation musicale. Tout était enregistré avec des musiciens Italiens, très bons, mais joué par exemple avec des accordéons à clavier, alors qu’en France on joue avec des accordéons à touches, ça n’allait pas. Il y avait surtout le fait que Scola au début voulait une musique qui fasse appel à la mémoire collective, donc pas de musique originale. Il voulait uniquement des arrangements sur des musiques existantes. Selon moi, on ne pouvait pas avoir de l’émotion s’il n’y avait pas d’unité musicale. Je suis parti en désaccord total avec lui, en me disant que je ne ferai jamais la musique.

 

 

Et puis les distributeurs m’ont rappelé. Ils m’ont dit : "Monsieur Scola serait d’accord pour écouter quelques propositions". Alors il est venu ici, j’avais préparé trois thèmes. Un jour, ça sonne à la porte, et je le vois avec un monsieur qui se présente, c’était Armando Trovaioli, son compositeur ! Il me dit : "J’ai beaucoup d’admiration pour vous, je suis venu uniquement pour accompagner Ettore, il veut juste m’avoir comme conseil, mais je n’interviendrai pas dans son choix". C’était très gênant comme situation. Je leur montre ma première musique, Scola n’aimait pas du tout. Trovaioli assez. Je fais écouter la deuxième. Scola toujours négatif mais un peu moins. Trovaioli positif une fois de plus. Au troisième morceau, Scola dit "ça s’est intéressant !". D’un coup, j’ai vu que ça l’accrochait, mais j’ai vu aussi Trovaioli qui n’avait pas l’air d’accord, il nous a regardé et a dit :  "Non, ça ne va pas du tout… ".  On est parti sur ce troisième thème, l’enregistrement a duré des mois. Il y a eu des drames, parfois Trovaioli pleurait en cabine, ce fut épique, un vrai film dans le film...

 

 

 

 

 

Une autre collaboration qui a débuté pour d’étranges raisons, c’est celle avec Pascal Thomas, on vous a appelé pour sauver son film, c’est bien ça ?

 

Oui, c’était pour « Les Zozos », je ne connaissais pas Pascal Thomas alors, c’était son premier film. J’ai été appelé par la productrice Albina du Boisrouvray. Elle était persuadée qu’elle avait produit un film un peu érotique avec des espèces d’amours entre jeunes femmes. Mais elle trouvait qu’il était raté, et que c’était la musique qui pourrait sauver le film. Elle me l’a donc montré en me demandant de réfléchir à la manière dont je pourrais l’érotiser grâce à ma musique. J’ai été complètement charmé par le film, ne trouvant pas qu’il y avait à sauver quoi que ce soit. Je pensais qu’il avait besoin d’une musique, mais pas dans un esprit de composition érotique !

 

 

 

 

 

 

À nouveau un film pour lequel la musique tient un rôle primordial dans l’histoire, c’est « Diva » de Jean-Jacques Beineix.

 

J’avais connu Jean-Jacques Beineix du temps où il était assistant de Claude Zidi. On avait fait ensemble "L’aile ou la cuisse", "La moutarde me monte au nez", des comédies comme ça. Lui assistait le metteur en scène et moi je faisais la musique. Et plusieurs fois, il m’avait dit : "Vous savez, Vladimir, si un jour je fais un film, j’aimerais que ce soit vous qui en composiez la musique, est-ce que vous accepteriez ?". À chaque fois, je lui répondais : "Oui, bien sur", mais en pensant qu’il ne ferait jamais de film, parce que, sur les tournages, on rencontre la plupart du temps des assistants qui vous parlent de leurs projets de films qui ne voient jamais le jour. Donc, je ne prenais pas beaucoup de risque en lui disant oui.

 

 

Et puis un jour, il m’appelle et me dit : "Je viens de finir un court-métrage : Le chien de Mr Michel, et j’aimerais que vous fassiez la musique". J’ai vu le film, et je l’ai trouvé très intéressant, avec un ton très original. Ensuite pour son premier long, il a été voir Irène et Serge Zilbermann, avec lesquels il avait travaillé comme assistant sur un film de René Clément. Il leur a proposé son projet mais ils n’en ont pas voulu. Ils lui ont répondu qu’ils avaient eux un scénario formidable qu’ils voulaient concrétiser depuis plusieurs années. Ils avaient acheté les droits d’un policier « Diva », un roman que l’on trouvait dans les kiosques. Ils l’avaient proposé à Boisset, Molinaro, à tous les réalisateurs connus, mais ça ne s’était pas fait. Beineix lui a accepté. Au départ, il devait y avoir Piccoli, Dewaere, ensuite même Gainsbourg. Pour la chanteuse, ils avaient pensé à Jesse Norman et Barbara Hendricks. La musique a pris des mois de préparation. On cherchait une composition qui allait décider du décor. Si on faisait un air  Wagnérien, ce ne serait pas la même chose que si on s’inspirait de la musique Italienne. Finalement, on a pris un air d’Opéra de l’époque de Puccini, mais quelque chose de moins connu. Et bizarrement, plus les mois passaient et plus les comédiens retenus ne pouvaient plus. J’ai alors pensé que le film ne se ferait pas. Et puis un jour, je reçois un appel, et on me dit qu’il faut enregistrer la musique au plus vite. Alors je suis parti pour Londres. C’était l’été, et Paris était vide, tous les musiciens étaient en vacances. On a enregistré là-bas avec Wilhelmenia Fernandez qui était toute jeune et inconnue à l’époque. 

 


 

 

 

 

Nous l’avions découvert dans les conservatoires de New York. Au début, elle devait être uniquement la voix du film. Une comédienne avait été choisie pour le rôle. Et puis, quand elle est venue, elle a tellement séduit tout le monde par sa voix, sa beauté, son talent, qu’elle a finalement joué son propre rôle. La carrière du film a été une aventure extraordinaire. Quand il est sorti, la critique a été épouvantable. La première semaine, il était dans 27 salles, la deuxième dans 3 salles. Personne n’allait le voir. Il a fallu la ténacité des producteurs, ils ont loué une salle dans le quartier Latin où ils garantissaient la recette. Le film est resté ainsi des mois et des mois. Petit à petit, les jeunes se sont emparés de ce film. Un an après, quand il y a eu les César, le film était devenu une sorte de phénomène de fréquentation, on était alors à 150 000 entrées dans une seule petite salle. On a eu plusieurs César, dont celui de la musique. Et ce film est, avec le temps, devenu dans le monde entier un film important, un véritable film culte.

 

 

 

 

             Bertrand Bichaud et Vladimir Cosma

 

 

 

Vladimir Cosma sera en concert en 2013: A Paris au Grand rex le 23 et 24 mars, à Strasbourg le 14 mai, au Festival de Carcassonne le 7 juillet et au Silo à Marseille le 19 juillet.




06/03/2013
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