LA VIE DOMESTIQUE d’Isabelle Czajka
DOMESTIQUER SA VIE…
par Bertrand Bichaud
3/5 ON AIME BEAUCOUP
Juliette (Emmanuelle Devos) vit depuis peu avec son mari et ses deux enfants dans une banlieue résidentielle Parisienne. Dans l’attente de retrouver un travail, elle passe ses journées concentrée sur des taches ménagères, et se met à côtoyer ses nouvelles voisines, toutes mères de famille au foyer.
Après avoir initialement projeté d’adapter « La promenade du phare » de Virginia Woolf, la réalisatrice est tombée par hasard sur « Arlington Park » de Rachel Cusk, c’est finalement ce roman que la cinéaste a décidé de choisir comme point de départ à son scénario. « Il recélait tout ce que je recherchais, toutes les problématiques qui me tenaient à cœur, les infimes enjeux de la vie domestique et conjugale, postmoderne et occidentale ».
Le film nous invite à partager la vie de Juliette durant une journée pas tout à fait comme les autres. Dans l’attente d’un entretien pour un emploi qui lui tient à coeur, ce jour pourrait bien changer l’avenir de son quotidien. « La vie domestique » est un film qui commence par faire rire - la scène d’ouverture est à ce titre totalement réussie – pour ensuite plonger le spectateur dans un mal être croissant terminant par une atmosphère totalement oppressante et anxiogène.
La réalisatrice échappe au piège de la caricature sociale. C’est le réalisme qui prime ici, le cynisme et la peur qui guident la vie des personnages qui sont mis en avant. Le lieu apporte une note supplémentaire au malaise, par le paradoxe qu’il impose. Les maisons sont modernes, fonctionnelles, la nature resplendissante. Un calme et une harmonie (de façade) règnent dans cet environnement se voulant tellement sécurisant. Seul, un plan sur un camp de « gens du voyage » en périphérie du quartier résidentiel symbolise un danger bien circonscrit à l’écart.
Un fait-divers, ponctuant l’histoire, explicite la véracité du malheur ambiant. La source du mal est au cœur des individus, du foyer, et ne vient pas d’éventuels et hypothétiques éléments étrangers à cet univers.
La force du film est de ne pas présenter sa protagoniste comme « meilleure » que son entourage. Même si son engagement professionnel (tout comme celui de son mari) révèle une volonté de s’ouvrir vers l’autre, « l’environnement de comportement et de pensée » arrive à ses fins, et les transforme, les uniformisant peu à peu au système qui les a happé.
« L’envie » semble nous dire la réalisatrice est l’unique espoir. Celles et ceux qui l’ont abandonné, ce sont oublié eux-mêmes. Juliette et son mari ont conservé leurs idéaux. L’idée (un peu naïve) que l’épanouissement, la réalisation de soi ne peut se produire qu’en prenant en compte l’autre est omniprésente. Le film dénonce l’enfermement. Celui d’une ville sur elle-même, puis peu à peu la sournoise mécanique cloisonne chaque famille, pour terminer par isoler chaque individu. À vouloir se protéger de plus en plus des autres, chacun finit seul. Arrive alors le terrible constat que notre pire ennemi est la solitude dans laquelle nous nous sommes délibérément enfouis.
« La vie domestique » est un film plombant mais salutaire d’une effrayante lucidité. Le portrait sans concession, ni moralisme, d’une middle class en perdition. Une population rongée par l’obsession d’un bonheur (à montrer) qui nourrit jusqu’à sa perte un mal être trop insidieux pour être clairement identifié.
A découvrir aussi
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 156 autres membres