LA VIE D’ADELE d’Abdellatif Kechiche
L’ENVIE D’ABDEL
par Bertrand Bichaud
1/5 MOYEN MOYEN
Adèle a 15 ans, elle vit à Lille et s’ennuie dans une vie bien ordinaire. Elle va au lycée, dîne avec ses parents en regardant « Questions pour un champion » et sort de temps en temps avec des garçons. Mais rien ne semble l’enthousiasmer réellement. Jusqu’au jour où elle croise le regard d’Emma, une jeune femme aux cheveux courts (et bleus), étudiante aux beaux arts. Débute alors une histoire d’amour entre les deux filles.
On retrouve dans « La vie d’Adèle » deux obsessions du cinéaste. Son intérêt pour le rapport professeur-élève (et accessoirement Marivaux faisant office de lien entre les deux) qu’il avait très joliment traité dans « L’esquive ». Et sa fascination pour le corps, mise en avant (de manière contestable) dans « La vénus noire ». En revanche, son approche sociale et sociétale, pourtant intelligemment maniée dans « La faute à Voltaire » et « La graine et le mulet » est ici totalement oubliée. Ce qui, compte tenu du sujet du film constitue un réel manque. Car, les deux points de vue qu’il aurait été intéressant de montrer, celui des amis de lycée d’Adèle et de ses parents sont balayés, donnant l’impression d’avoir été coupé au montage... Il n’est pas dit en effet comment son entourage (visiblement peu enclin à l’acceptation de l’idée même d’homosexualité) vit son soudain départ de la maison familiale pour une cohabitation amoureuse avec une femme.
Le film est délibérément bavard, mais problème, il ne dit rien. Déployant l’insipidité des échanges des deux jeunes filles sur un mode d’improvisation qui révèle combien des dialogues peuvent êtres nécessaires pour construire un récit. La recherche (bien vaine) d’authenticité ne peut se suffire en soi. Ici, elle en arrive même à mettre en péril sa démarche initiale.
La mise en scène n’aide en rien à sauver le film. Une accumulation sans fin de gros plans, la plupart du temps en champ-contrechamp enferme le spectateur dans une anxiogène proximité forcée avec les personnages. Aucun recul n’est offert. L’emprisonnement durant trois heures (2h59...), le résultat est des plus pénibles.
En oubliant les polémiques (qui finalement ont participé à promouvoir sa sortie), il n’en reste pas moins un réel étonnement à la vision des scènes de sexe. Seule sa légitimité scénaristique, peut justifier dans des films « traditionnels » une présence si importante de scènes sexuelles explicites. Ici pourtant, rien ne peut prétendre défendre leur existence. Leurs durées et leurs formes les rendent d’autant plus inutiles et inappropriées. Leur unique « avantage » est qu’elles permettent de quitter le mode « gros plans » pour quelques instants... Là pourtant où il aurait été plus habile de les conserver en se concentrant sur les visages (par exemple) pour transmettre l’émotion, le réalisateur privilégie des plans larges, exposant à une lumière blafarde, digne des plus mauvais films érotiques des 70’s, deux corps enchevêtrés dans des mouvements dont le rendu se perd dans le ridicule.
Est-ce utile de le rappeler, le film a reçu une Palme d’or à l’unanimité (c’est la première fois dans l’histoire du Festival de Cannes…) et deux palmes furent décernées aux actrices Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux. Deux comédiennes dirigées tout le film durant sur le créneau de l’hyperréalisme. Le résultat en est la plupart du temps des échanges de regards sans fin, et des larmes à répétition bien peu touchantes. Le reste de la programmation serait-il responsable de cette duperie ?
Ce qu’il reste du film à la fin de la projection? De l’ennui, beaucoup. Et un sentiment déplaisant d’avoir assisté à un plaisir hermétique et personnel désiré exclusivement par l’œil du « filmeur ». Le réalisateur a écouté sans nul doute son envie. L’envie d’Abdel… Mais cela ne constitue en rien un plaisir cinématographique tant l’absence manifeste de volonté de partage et de prise en compte du spectateur est flagrante. Malgré ses statuettes, on vous le déconseille donc… à tout prix.
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